Nos voisins suisses, allemands ou scandinaves font la part belle au bois avec des constructions de quatre à six niveaux en moyenne. Le record, détenu par le Stadthaus à Londres, est de neuf étages. La France est plus timide et accumule les projets en R+2. Si notre volonté de promouvoir le matériau bois, notamment pour ses qualités environnementales, favorise le développement des structures de plusieurs paliers, le rythme est moindre et les hauteurs plus modestes.
La levée progressive des freins normatifs et réglementaires, visant surtout la sécurité incendie et l’acoustique, profite au secteur. Mais elle ne suffit pas. Il est impératif que les acteurs de la filière se concentrent sur les performances technico-économiques des solutions constructives. Car pour attirer les maîtres d’ouvrages, encore échaudés par la taille de l’enveloppe budgétaire, il faut réduire le coût de construction des systèmes bois. L’atout écologique et la capacité isolante du matériau feront le reste.
Les quatre familles de logements
Les exigences en matière de sécurité incendie diffèrent selon la famille à laquelle appartient l’immeuble. Les bâtiments d’habitation sont classés en fonction du nombre de niveaux et de leur hauteur. Les logements collectifs commencent en deuxième famille. Il s’agit des immeubles de trois étages sur rez-de-chaussée maximum. Le plancher bas le plus élevé est dans ce cas à moins de 8 m du sol. La troisième famille réunit les constructions supérieures à R+3, dont le plancher bas le plus élevé est à moins de 28 m du sol. La quatrième famille vise les structures de plus de 28 m.
La sécurité incendie
La réglementation incendie n’interdit aucunement de construire en bois à quatre ou cinq étages, voire plus. C’est le surcoût qu’engendre la montée en niveaux qui freine le développement des projets. Plus on s’élève, plus les solutions constructives sont onéreuses, car les exigences réglementaires se resserrent. Jean-Marc Pauget, délégué régional Rhône-Alpes du CNDB explique : « Les bâtiments de deuxième famille, jusqu’au R+3, exigent une résistance au feu des structures d’une demi-heure, contre une heure en troisième famille, du R+4 au R+7. Or, pour assurer cette résistance, il convient d’ajouter aux ossatures des écrans “coupe-feu”, en plâtre ou en fibre-ciment. Plus on monte, plus l’épaisseur de ces composants doit être importante, augmentant les coûts de construction. » Idem pour les panneaux massifs, dont le dimensionnement croît avec la hauteur.
En vêture extérieure, on s’intéresse davantage à la réaction au feu des matériaux, laquelle exprime leurs aptitudes à s’enflammer et à contribuer à la propagation d’un incendie. En deuxième famille, le recours au bois ne pose aucun problème. En troisième famille, on considère que le matériau, même ignifugé, n’est pas pérenne, et ne peut être utilisé sur toute la hauteur de la construction. « Dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne, des essais plus précis, portant à la fois sur l’essence et son usage, assoupliront le protocole », note Jean-Marc Pauget. Et Michel Perrin, directeur technique du constructeur Arbonis, d’ajouter : « Les professionnels du bois n’ont que trop peu participé à l’élaboration des textes normatifs et réglementaires, contrairement aux filières très organisées de l’acier ou du béton. Mais les choses évoluent. »
L’acoustique
En construction multiétage, la question de l’acoustique est inhérente. La gestion des bruits d’impacts et aériens est essentielle pour assurer un confort maximum aux usagers. Par sa faible masse volumique et surfacique, le bois n’est pas le meilleur matériau en matière d’isolation phonique, mais il existe des solutions pour accroître sa performance. « Pour minimiser les bruits aériens, les voix ou encore la télévision des voisins, il faut alourdir, mais le principe de la “loi de masse” induirait des épaisseurs de parois trop importantes, explique Karin Le Tyrant, acousticienne et directrice de l’entreprise Aïda (Atelier indépendant d’acoustique), installée à Orléans (45). L’utilisation de systèmes suivant la loi “masse/ressort/masse” constitue l’alternative efficace et probante. En pratique, il s’agit d’associer, en sous-face d’un plancher en bois, un matelas d’isolation et un plafond suspendu en bois, béton ou plaques de plâtre, ou bien de créer un plancher flottant. Pour les bruits d’impacts, il convient d’apporter de l’élasticité en désolidarisant les éléments structurels. Autrement dit, installer un plancher en bois sur des solives, et désolidariser les plaques de plâtre en plafond. » La combinaison inverse – plaques de sol/résiliant acoustique/panneaux massifs – offre une finition bois en sous-face. La société Bois&Futur (60) a réalisé et obtenu du CSTB des tests et procès verbaux en technique sèche démontrant qu’on peut atteindre les normes NRA (réglementation acoustique relative aux bâtiments d’habitation) sans ajout de sous-face. L’utilisation d’une chape en béton est tout aussi possible. Le risque : perdre en rapidité de mise en œuvre et des soucis liés à la gestion du problème d’humidité, l’exécution en filière humide prenant plus de temps qu’en filière sèche.
Afin d’éviter toute propagation des vibrations, l’isolant doit être continu entre le plancher et le mur. Son dimensionnement dépend du nombre d’étages : son épaisseur va décroissant avec la hauteur. Les laines minérales sont à ce jour les plus répandues. « Nous manquons de tests normés et de retours d’expérience en ce qui concerne les matériaux biosourcés », conclut Karin Le Tyrant.
Leviers de compétitivité
À l’ère du développement durable et du bâtiment basse consommation, l’engouement pour la construction en bois est de plus en plus fort. En effet, en dépit des surcoûts enregistrés – de 10 à 20 % de plus qu’en construction maçonnée –, le matériau permet, à l’usage, de réaliser de substantielles économies d’énergie grâce à ses capacités isolantes, jusqu’à 30 % par rapport à une structure traditionnelle. Le bois a toutes les qualités pour répondre aux critères BBC et à la nouvelle réglementation thermique 2012. En cela, il gagne en compétitivité. En outre, il stocke une tonne de CO2 par mètre cube, un argument de taille pour les grandes bâtisses. Autre atout, et non des moindres : sa mise en œuvre, nettement plus rapide. Le Stadthaus londonien s’est construit en quarante-neuf semaines ; il en aurait fallu dix-sept de plus avec du béton. Résultat : une réduction des délais, et donc, des coûts. Si les bâtiments en bois de deuxième famille se sont largement développés, c’est qu’ils offrent une surface habitable supérieure à celle d’un immeuble en béton équivalent : les murs, plus fins, permettent de gagner jusqu’à 12 % d’espace utile. Maxime Baudrant, conseiller Construction chez Atlanbois, évoque un autre argument : « Le bois est un matériau parasismique, il réagit nettement mieux que les autres aux secousses. » Or la nouvelle carte sismique, en vigueur depuis le 1er mai dernier, classe 60 % du territoire français en zone à risque, contre 14 % précédemment.
La clé de l’ingénierie
Techniquement, le bois est aussi crédible que les autres matériaux pour la construction multiétage. On l’aura bien compris, l’obstacle est d’ordre financier. Le manque de recul et de textes normatifs oblige les entreprises à réaliser des tests in situ coûteux pour faire valider leurs modes opératoires. « Depuis la création de l’entreprise en 2008, nous avons dû investir près de 400 000 € en études et certifications », souligne Michel Lépineau, fondateur de Muréko (44), société spécialisée dans la construction de bâtiments en panneaux contrecollés.
Pour avancer, il faut innover. Aussi est-il indispensable de développer l’ingénierie. « Il faut se lancer dans la réalisation, faire du concret, insiste Patrick Molinié, responsable Bâtiment au FCBA. Les ingénieurs doivent prendre les devants, proposer, en mobilisant tous les maillons de la chaîne et les ressources locales, des solutions techniquement et économiquement viables. » Car pour gagner en productivité, il est indispensable de miser sur le travail en amont : consacrer un maximum de temps à la conception raccourcira de façon considérable les délais de fabrication et les coûts. « La rapidité de mise en œuvre, la préfabrication des éléments structurels sont la valeur ajoutée du bois. Il faut les exploiter », confirme Michel Perrin. Une ingénierie efficace et innovante, au service d’un outil de production performant : c’est dans cette voie que les professionnels de la filière doivent s’engager pour alléger la facture. Justement, le R+5 en ossature bois, rue Marceau à Montreuil (93), signé Graam Architecture (93), a été construit pour un coût modéré de 1 470 €/m2. Comme quoi…
Le tout bois
En dessous du R+3, l’usage du matériau en structure se démocratise. Selon Jean-Marc Pauget, du CNDB, « au-delà, la construction multiétage “tout bois” n’a pas encore trouvé son équilibre économique, sauf exception ». Des projets en R+7 et plus sont à l’étude et devraient prochainement sortir de terre. Cela, grâce au développement des connaissances techniques et de produits innovants, comme les panneaux bois massif. Dotés de très bonnes qualités écologiques, structurelles et mécaniques, ils sont particulièrement adaptés à la hauteur. Ils ont une excellente stabilité dimensionnelle et une bonne reprise de charge en compression. D’emblée, les panneaux sont plus onéreux qu’une ossature en bois ou en béton. « Un surcoût que l’on amortit rapidement : leurs qualités intrinsèques permettent d’économiser sur d’autres postes : l’isolation, l’étanchéité, les équipements énergétiques, ou encore les parements intérieurs », note Antoine Pagnoux, d’ASP Architecture (88). En ossature, plus on monte et plus l’épaisseur des structures basses augmente pour supporter les charges : l’excédent de bois et d’assemblages gonfle la note.
Aussi est-il possible de mixer squelettes et panneaux, selon la typologie du bâtiment, les ressources disponibles, le budget, etc. « Dans quelques années, il ne sera pas rare de voir des R+8, voire plus, 100 % bois. Pour le moment, on table davantage sur la mixité bois/béton », rappelle Michel Perrin.
Bois + béton
La mixité bois/béton est une alternative pertinente d’un point de vue technique et financier. Les solutions constructives se développent, les avis techniques se multiplient. Ainsi peut-on profiter des qualités de ces deux matériaux : le béton pour sa masse, son inertie thermique, son confort acoustique et son rôle « coupe-feu » ; le bois pour son attrait écologique, sa rapidité de mise en œuvre et ses capacités isolantes. Les combinaisons sont variées : un noyau en béton avec des façades, porteurs et planchers en bois ; une structure en béton avec des murs-manteaux en ossature bois ; un squelette en bois (ou panneaux massifs structurels) avec des planchers en bois/béton ; des poteaux-poutres en béton garnis d’ossature ou de panneaux ; des façades en bois avec des murs de refends et des cages d’escalier en béton… Nombre de réalisations ont déjà fait leurs preuves. Dans un tel contexte, il convient de porter une attention particulière aux variations de charges et à la bonne synchronisation des filières sèche et humide. Enfin, la mixité libère quelque peu les grands principes architecturaux français, historiquement et culturellement ancrés dans le béton.
Programme « Acoubois » : à la recherche de solutions antibruit
Après avoir identifié les freins réglementaires au développement de la construction bois en France, l’État a souhaité soutenir la filière. Lancé en 2009, le programme « Acoubois » devrait répondre au problème de l’acoustique. Entretien avec Madeleine Villenave, ingénieur Construction physique du bâtiment au FCBA :
W. S : La mise en place d’un tel projet semblait urgente…
M. V : Le manque de données acoustiques sur des solutions constructives à base de bois est un frein au développement du matériau dans la construction. L’absence de méthode de prédiction du comportement acoustique des ouvrages légers au stade de la conception a pour conséquences, soit l’abandon des projets, soit un surdimensionnement des éléments ne permettant pas un positionnement sur le marché, ou encore un niveau de qualité acoustique ne répondant pas aux exigences de confort attendues. Pour pallier cette carence, nous proposons, en concertation avec Qualitel et le CSTB et avec le soutien financier de la DHUP, de la filière bois et des industriels partenaires, de répondre aux exigences acoustiques réglementaires. Ce projet est décomposé en six phases et devrait être achevé en 2013.
W. S : Où en êtes-vous actuellement ?
M. V : Après avoir fait un état des lieux et dressé la liste des solutions génériques usuelles (étape 1) de notre système constructif, nous nous sommes attachés à valider des solutions qui intègrent la problématique « feu et thermique ». Aujourd’hui, nous sommes à l’étape 2 qui comprend l’évaluation en laboratoire des éléments murs, planchers, enveloppes non caractérisés à ce jour et un volet de mesures sur site pour évaluer « la résultante » dans des bâtiments bien identifiés. Ce programme comprend des mesures vis-à-vis du bruit aérien, du bruit d’impacts et des bruits d’équipements ; parallèlement, des mesures d’isolement vibratoire et de qualification de jonction seront faites.
W. S : Quel outil sera mis à la disposition des professionnels ?
M. V : Dans un premier temps, nous livrerons une méthode de prédiction du comportement acoustique des ouvrages à ossature bois. Ensuite, nous développerons une méthode simplifiée permettant à Qualitel de juger de la performance acoustique des projets en amont de la construction, à l’aide d’un logiciel notamment.