Exposition au nom évocateur, Kama Sutra, proposait, à la Maison de l’architecture en Île-de-France du 10 février au 5 mars dernier, cinquante projets français et européens qui explorent des postures nouvelles que le contemporain peut adopter face à l’ancien en architecture. Le dénominateur commun : offrir à des bâtiments préexistants au mieux une nouvelle affectation, de nouveaux usagers, une « second life » et au moins, une nouvelle allure. Ici, ni pastiche du passé, ni réhabilitation qui consisterait à mettre ou remettre l’ancien aux normes du présent, mais bien des projets audacieux qui ont su trouver un équilibre créatif bien à eux entre contemporain et ancien. « Ce dernier n’a ni limite, ni minimum, ni tranche d’âge : les bâtiments préexistants datent du XVIIe siècle comme des années 1960 à 1980, ce sont des friches industrielles, des bâtiments administratifs, techniques, militaires, etc. De même que chaque époque doit “gérer”, archiver, voire effacer les témoignages des précédentes, de même que les châteaux de la Loire se sont élevés sur les ruines de ceux du Moyen Âge, notre époque doit adopter une attitude décomplexée face à l’ancien, le revisiter, le coloniser et lui offrir une seconde vie. » En explorant ces frictions créatives entre contemporain et ancien, la Maison de l’architecture en Île-de-France, à travers cette exposition dont le commissariat est assuré par les architectes ­Thomas ­Corbasson, ­Philippe ­Croisier, ­Gaëlle ­Hamonic, ­Adrien ­Robain et ­David ­Trottin, vice-­présidents de la Maison de l’architecture, apporte sa contribution au débat sur la ville durable en faisant le pari que l’on ne démolira plus demain comme hier. « Au-­delà des matériaux et des murs, c’est bien la fonction et l’esprit des bâtiments que l’on peut recycler pour les injecter dans le fonds de ressources et des images partagées. Car ce qui pourrait bien faire lien aujourd’hui, c’est une ville en abyme, une ville qui superpose à la densité, la mixité programmatique, l’isolation par l’extérieur et l’ultramobilité, les images subliminales de passé pluriels, de communautés multiples qui désormais s’entrechoquent dans une “urban touch” miraculeusement consciente d’elle-même et confiante. » INTERVIEW « Il faut remplir les dents creuses » ­Thomas ­Corbasson, l’architecte de l’agence Chartier-­Corbasson a été l’un des membres du commissariat de l’exposition Kama Sutra en sa qualité de vice-­président de la Maison de l’architecture en Île-de-France et nous livre sa réflexion sur ce thème de l’extension/surélévation. 5 Façades : Comment expliquez-­vous ce nombre important de réalisations consistant en une surélévation ou une extension d’un bâti ancien ? Thomas Corbasson : C’est la densité. Il y a de moins en moins de place dans les villes, de plus en plus d’habitants, donc l’heure est aux extensions, aux superpositions en centre-­ville et dans des espaces de plus en plus petits. En ce moment, on entend parler du Grand Paris ou de ville durable et l’une des mesures phares proposées par toutes les équipes d’architectes est de demander la suppression des COS (ndlr : Coefficient d’occupation des sols) et rendre ainsi possible la densification de toutes les banlieues et même de Paris. Il faut remplir les dents creuses pour économiser en temps de transport, en énergie et préserver le peu d’environnement qui reste. Vous pensez que la surélévation sur des immeubles parisiens est envisageable ? Je ne sais pas, car c’est aussi une question de politique. Autant Londres est une ville très vivante qui se permet beaucoup de choses, autant à Paris il y a un peu de frilosité par rapport à cela. Personnellement, je serais pour. D’autant qu’il y a un truc fabuleux qui a toujours été exploité au cinéma : ce sont les toits de Paris ; donc, il faudrait pouvoir y avoir accès. Paris est bien sûr un espace qui reste exploitable. Une réalisation comme celle de Didden Village à Rotterdam de l’Agence ­MVRDV (p. 16) est-­elle pour vous possible en France et plus spécialement à Paris ? Aux Pays-­Bas, il existe un culte de la modernité en raison de leur histoire, qui n’existe pas forcément en France. Avec un pays rasé pendant la Seconde Guerre mondiale, les architectes avaient un terrain libre et donc une foi obligatoire en la modernité. Nous, nous sommes plus dans l’adoration de l’ancien, mais en même temps, nous savons faire. Au final, cela forge des caractères bien spécifiques de chaque pays. Les contraintes techniques sont-­elles plus importantes pour ce type de réalisations ? Pas forcément. En fait, construire en zone urbaine, c’est toujours un peu de la réhabilitation, car si je me trouve par exemple entre deux immeubles mitoyens je vais me poser des problèmes de tassement différentiel, de murs pas droits, de parcelle bizarre… qui sont les mêmes qu’en réhabilitation classique. La seule réalisation qui ne soit pas de la réhabilitation de nos jours, c’est de construire sur un terrain vierge au milieu de nulle part, mais c’est assez rare en fin de compte. Le reste, c’est forcément de la réhabilitation, c’est-­à-dire être tributaire des normes du neuf avec des contraintes qui sont assez proches de celles de la réhabilitation classique. À la limite, c’est cela le plus compliqué, le cumul de ces deux positionnements. Quand on est franchement en réhabilitation, il y a plus de souplesse de la réglementation. Qu’en est-il du choix des matériaux de construction ? Y en a-t-il certains plus privilégiés que d’autres ? Pour les surélévations, il y a souvent le problème du poids qui se pose ; donc, globalement, un système mécanique sera le plus souvent préféré : en somme, des structures plus légères que du béton, comme du métal ou du bois.