La 9e édition du Forum International Bois Construction revient à Epinal et Nancy en année impaire et se présente comme l’événement majeur de la construction et de l’architecture bois, voire de la filière bois pour cette année 2019. Tandis que la politique gouvernementale du choc de l’offre tarde à se préciser et bute sur un ressac de l’activité du Bâtiment, les organisateurs ont cette fois plutôt mis l’accent sur les défis du choc climatique en cours.
Chaque année, plusieurs centaines d’architectes se rendent au Forum où des dizaines d’entre eux ont l’occasion de présenter des ouvrages récents qu’ils ont conçus. L’an dernier à Dijon, ça grondait dans les rangs à cause de la loi ELAN partiellement initiée par la filière construction bois elle-même, afin de générer un cadre économique adapté à la préfabrication.
La perspective d’une remise en cause des concours d’architecture dans certaines situations était perçue comme un danger pour la profession. Si l’on ajoute le permis d’innover ou de déroger dont on attend également les décrets d’application, il est difficile aujourd’hui d’apprécier si ces orientations constituent, pour la construction bois, une menace ou une opportunité.
De même, la baisse actuelle de la conjoncture générale du bâtiment, après son pic de 2017, n’affecte sans doute pas de la même manière le bois, reparti très tard – et affaibli -après la crise, que les autres secteurs du BTP. Ainsi, lors des Rencontres Techniques de la Construction Bois à Paris, le 24 janvier dernier, la crainte d’un reflux de l’activité des constructeurs bois ne s’affichait nulle part.
Climat et technologie
Le choc de l’offre gouvernemental va peut-être infléchir à terme les habitudes du Bâtiment, même si l’on n’en voit pas encore la couleur. De même, on ne voit pas encore le changement climatique imprimer sa marque sur l’activité de façon directe. Mais pour le coup, l’année passée a fait prendre conscience que, choc de l’offre ou pas, ce choc climatique aura bientôt un impact sur la construction. En Europe Centrale, l’effet conjugué des tempêtes, des sécheresses, des incendies
et des attaques d’insectes fragilise un massif forestier qui avait pourtant atteint une richesse inégalée. Disposerons-nous encore, dans vingt ans, dans une abondance comparable,
de ce matériau qu’on dit renouvelable ? Cette question a plusieurs facettes.
Le choc climatique va-t-il nous amener à sanctuariser nos forêts ? La demande internationale de bois va-t-elle nous priver de ressources ?
Devons-nous apprendre à gérer cette matière avec parcimonie et dans une perspective de réutilisation ? La construction bois doit-elle consolider ses atouts environnementaux, ne serait-ce que pour préserver sa légitimité dans un monde où l’option zéro carbone devient tout simplement vitale ?
Face à la catastrophe environnementale de l’année passée, les organisateurs du Forum ont fait le choix de positionner le changement climatique comme thème central de cette édition. Il ne s’agit pas de s’en tenir comme par le passé à l’antienne du bois comme remède car stock de carbone, mais plutôt d’identifier, au travers des projets actuels les plus divers, les pistes qui permettront peut-être au bois d’avancer vers la neutralité carbone effective et requise.
Les intitulés de la plupart des ateliers thématiques sont éloquents : « Changer de dimension », « De l’écoquartier au bio-quartier », « La ré-architecture », « Concevoir et faire : l’aménagement urbain », « La construction en bois-paille », « Circuits courts et très bas carbone », « Le bois et l’habitat participatif », « Logement social et environnemental », « L’école du biosourcé ». En regardant de près, on remarque bien que ces ateliers à orientation environnementale côtoient finalement d’autres ateliers de mouvance technologique, portés par les organisations professionnelles et l’industrie : le CLT nouveau, la numérisation 4.0, la préfabrication, les formes libres. Sans doute, la filière aura besoin de toutes ses capacités technologiques pour parvenir à ses objectifs environnementaux. De même, la prégnance environnementale du bois reste une opportunité considérable pour la filière industrielle et technologique qui la porte. Et le Forum est plus que jamais le point de rencontre entre deux mondes qui s’enrichissent, mais qui doivent apprendre l’un de l’autre.
Un congrès riche de sa filière
Le Forum s’efforce de refléter année après année la dernière actualité de la construction et de l’architecture bois en France et dans le monde. Difficile d’y lire des indices conjoncturels. Le choc de l’offre, pour l’instant, c’est celui du programme dense comme jamais et qui s’étend une nouvelle fois sur trois journées, avec trois sessions inaugurales parallèles sur le Campus Bois de l’ENSTIB, le mercredi 3 avril. Si le programme est dense et une nouvelle fois très fortement ancré dans l’activité française, c’est qu’il y a beaucoup à dire et à montrer.
La grande nouvelle, c’est l’achèvement de la révision du DTU 31.2, qui fait l’objet à Nancy d’un atelier dédié, ce qui est bien la moindre des choses. En gros, l’ossature bois monte à 28 mètres et devient vraiment une alternative urbaine jusqu’à R+6. Quand on pense à la percée mondiale du CLT, à l’émergence du LVL, au développement de la construction modulaire, à la force naissante de la construction biosourcée et à l’intérêt des approches mixtes bois-béton, bois-acier et maintenant aussi bois-terre cuite, on voit bien que le bois est bien plus innovant, en ce moment, que la brique, l’acier ou le béton dans leurs domaines réservés.
L’atelier DTU 31.2, atelier C, fait partie en tant que tel des ateliers à caractère pédagogique, ce qui répond à une demande formulée notamment par les constructeurs bois. Le congressiste a ainsi le choix entre six ateliers successifs de type A, A comme architecture, mais aussi maîtrise d’ouvrage, six ateliers B à orientation plus technique, et six ateliers C pédagogiques. S’ajoutent trois sessions plénières, les moments conviviaux parmi les exposants, les expositions parallèles, les totems, les visites de réalisations, pour ce qui concerne la partie professionnelle du programme. Malgré cette abondance, les organisateurs s’efforcent de créer un cadre agréable pour permettre aux acteurs de la filière de se retrouver et d’échanger au moins une fois par an, non pas simplement entre charpentiers, ou entre ingénieurs, ou architectes, mais comme le groupe informel de ceux qui font l’architecture bois et biosourcée en France et dans le monde.
Valoriser des feuillus
Pour la quatrième fois consécutive, l’impératif français d’une valorisation des feuillus dans la construction fait l’objet d’un mini colloque spécifique. Progressivement, la formule a évolué d’un état des lieux scientifiques vers une approche qui prend davantage en compte l’analyse de cas de construction concrets. Par ailleurs, pour la première fois, la session inaugurale entre vraiment dans le concret en se concentrant sur deux essences, le hêtre et le peuplier. L’intérêt pour le hêtre est renouvelé en soutien et interaction avec Terres de hêtre, le groupement local qui poursuit vaillamment son objectif de valorisation de cette essence, notamment dans la construction.
Quant au peuplier, c’est en premier lieu le grand dessein de l’interprofession voisine Fibois Hauts-de-France, et des architectes nordistes dans le sillage de Laurent Baillet, qui sera présent. Il y a du hêtre dans le Nord et beaucoup de peupliers en région Grand Est, de sorte que le brassage de cette session est particulièrement productif. Car l’objectif n’est pas tant de construire dans une essence feuillue locale donnée, mais de trouver un usage valorisant et pérenne aux essences locales feuillues partout en France, notamment en les combinant.
Ré-architecture ?
Le programme de ce 9e Forum ose deux néologismes : bio-quartier et ré-architecture. Dans le premier cas, il s’agit de réinjecter du sens dans la notion encadrée mais galvaudée d’écoquartier.
La notion de ré-architecture, quant à elle, surgit à la fois de l’actualité et des impératifs futurs.
C’est le thème d’Encore Heureux, commissaire du pavillon français de la Biennale de Venise 2018, sur les « lieux infinis ». La grande architecture n’est plus celle que l’on croit, c’est celle de la rénovation. La raison première étant que la construction neuve, même bas carbone, est en fait une construction « haut carbone ». Surtout si l’on doit commencer par désamianter puis déconstruire pour reconstruire ensuite avec des durées de vie effectives de plus en plus courtes.
Dans le sillage de Françoise-Hélène Jourda Halle Pajol, Patrick Bouchain montre la voie
depuis le Lieu Unique de Nantes, et maintenant avec le remodelage d’une halle de la gare de Versailles-Chantiers.
Demi-hasard, la gare maritime de Bruxelles fait également l’objet actuellement d’une transfiguration un peu féérique, et dans les deux cas, mais de deux façons très différentes, le bois et notamment les panneaux CLT devienne le nouveau matériau de référence.
La notion de ré-architecture couvre également, et même davantage, les opérations de réaménagement qui, dans le cas de l’immeuble de bureaux L’Albero à Guyancourt en région parisienne, utilise abondamment le bois (bardages, Panobloc) pour transfigurer un ouvrage tout en le dotant d’une efficacité énergétique au goût du jour.
Façades bois
L’une des nouveautés de la 9e édition, c’est l’expérimentation d’ateliers « en cascade ». On peut commencer la matinée de vendredi par un atelier « A » intitulé « L’école du biosourcé » et la poursuivre avec un atelier C5 sur la construction bois-paille, qui débouche elle-même l’après-midi sur une table ronde élargie consacrée au même sujet. La succession des ateliers A5 « Logements sociaux
et environnementaux » et A6 « Le bois et l’habitat participatif » n’est pas fortuite car il y au aujourd’hui une imbrication réelle et multiforme entre ces eux mondes a priori séparés.
Le même jour, on peut tout aussi bien commencer par faire sa remise à niveau sur le thème des façades bois en suivant d’abord l’atelier C4 « Façades bois, outils de conception », puis poursuivre par un atelier B5 « Façades techniques ».
En fait, la façade bois s’invite partout et c’est un peu une surprise, après sa mise au ban notamment à Lyon depuis 2015, et cette série noire d’essais LEPIR II à la même époque, qui s’est prolongée encore par un essai décevant juste au moment de la dernière édition du 8e Forum, en avril 2018. Désormais, il ne faut pas être trop optimiste pour penser que la façade bois, notamment préfabriquée et plus précisément à destination de la rénovation, sera un levier de croissance pour la profession.
Circuits courts et très bas carbone
Depuis quelques années, la notion d’énergie grise a enfin pris racine en France. Face aux règles un peu abstraites de rédaction des ACV, la pratique architecturale est de plus en plus sensible à la réalité des acheminements de matériaux et systèmes. Il ne s’agit pas de renoncer globalement aux systèmes sophistiqués et venant parfois de très loin, mais juste d’apprendre à prendre en compte les paramètres locaux, un peu comme on choisit une orientation bioclimatique. Et même si en pratique, le massif de résineux voisin ne sera parfois exploité que par un producteur de palettes… De fait, si les donneurs d’ordre et la maîtrise d’œuvre est de plus en plus sensible à la prise en compte des ressources locales, la filière française du bois a encore un long chemin à faire pour répondre correctement à cette attente.
Jonas Tophoven
9e Forum International Bois Construction
- 3 avril 2019 – Campus Bois ENSTIB à Épinal
- 4 et 5 avril 2019 – Palais des Congrès Centre Prouvé à Nancy
- Inscription en ligne sur : http://nvbcom.fr/billetterie/
Les Totems
Le Forum suscite le dressage de totems depuis l’édition 2015, la première au Centre Prouvé moderne mais vraiment sans aucun clin d’œil à la construction bois. Pour la seconde fois, cette année, l’événement sera marqué par deux totems, l’un place des Vosges à Epinal, l’autre à Nancy. Et pour la première fois, il s’agira de deux totems totalement différents, mais issus d’un même cycle de formation universitaire qui s’est étendu tout au long de l’année, au sein de la Fabrique Collective affiliée à l’ESA de Paris, sous l’égide de Fabienne Bulle et d’une équipe pédagogique particulièrement sensibilisée au bois. Et toujours avec l’appui indéfectible du BE Barthès Bois et des compagnons du Devoir, plus impliqués que jamais.
Workshop
Chaque édition du Forum tente quelque chose de nouveau. L’an dernier, ce fut le lancement du Prix International Architecture Bois décerné par la presse, qui entre dans sa seconde édition et se veut avant tout expérimental en menant une réflexion internationale sur la notion d’architecture bois. La grande aventure de cette 9e édition du Forum, c’est la session inaugurale III du mercredi 3 avril, prolongée le lendemain par l’atelier B1 « De l’écoquartier au bio-quartier ». Quatre groupes d’étudiants en classe master (ENSA de Clermont-Ferrand, ENSA de Paris-Belleville, ENSA de Nancy, ENSTIB, école supérieure du bois de Trèves), travaillant sur la notion d’écoquartier, vont se retrouver dans les locaux de l’ENSTIB à Epinal pour se rencontrer et se confronter en présence de quelques « sachants ». La synthèse du workshop sera présentée le lendemain en atelier B1 par Angélique Chedemois, architecte praticienne du microquartier et responsable pédagogique de la classe master de Clermont-Ferrand.
© Photo de couverture : Immeuble Le Soleil à Grenoble, 38 logements R+10. Atelier B5, vendredi 5 avril, 11h40.
Photo : Roda Architectes