Dans un entretien donné au Monde la semaine passée, Véronique Bédague, la PDG du groupe immobilier Nexity, prévient que la crise du logement va se durcir, aggravant les risques sociaux qui vont avec. « Je les mets en garde sur ce qui est en train d’arriver maintenant : une restriction majeure des crédits immobiliers, avec des prêts en recul de 45 % sur un an. Dans n’importe quelle industrie où les clients se voient coupés de leurs moyens de paiement dans une telle proportion, quelqu’un regarderait ce qui se passe. »

En juin dernier, juste avant les décevantes annonces du CNR sur le Logement, la dernière enquête de conjoncture de la CPME indiquait qu’un salarié sur dix renonçait déjà à donner suite à une offre d’emploi car il ne parvenait pas à trouver un logement à proximité. Et les exemples se multiplient de salariés incapables de se loger, qui dorment dans des campings ou dans leur voiture, faute de se voir proposer des logements à des prix raisonnables. Pourtant les propositions réalistes pour inverser la tendance sont sur la table. Celles-ci visent, tout à la fois, à accompagner la rénovation du parc existant, relancer la construction, favoriser l’acquisition, passer d’une fiscalité punitive à une fiscalité incitative, faciliter la mobilité professionnelle.

Les élus locaux s’inquiétaient aussi après le CNR : « Les conclusions du CNR dédié au logement ne peuvent pas être une fin en soi. L’enjeu est d’allier proximité et efficacité pour aider les Français à accéder à un logement abordable, augmenter la construction de logements, lutter contre le dérèglement climatique et engager un vaste plan de simplification des règles et des normes. Ne pas s’emparer de cette question en mettant en œuvre les mesures dont la France a besoin, c’est l’assurance d’une crise majeure dans les mois à venir, qui aura des conséquences lourdes sur plusieurs décennies sur les territoires, leurs habitants, et le développement économique. La situation est grave, et c’est maintenant qu’il faut agir. »

Le Sénat abondait et rappelait les quatre pistes de refondation qui étaient pourtant sur la table du CNR sur le logement : un soutien aux maires bâtisseurs pour débloquer l’attribution des permis de construire. Depuis la suppression de la taxe d’habitation, les maires n’ont plus de recettes fiscales dynamiques leur garantissant une augmentation de leurs ressources en lien avec la croissance de la population et les constructions nouvelles. Une deuxième piste est la suppression ou tout du moins l’allègement de la réduction de loyer de solidarité qui pèse 1,3 milliard d’euros sur les capacités d’investissement des bailleurs sociaux auxquels le Gouvernement promet en revanche l’allongement de leur dette et une réduction temporaire de leur propre contribution au financement du logement social. La troisième est certainement le soutien à l’investissement locatif. La quatrième piste est bien d’agir pour débloquer le parcours résidentiel et plus particulièrement l’accès à la propriété, un « rêve français » légitime. Leur dénier ce droit, c’est les condamner à une forme de déclassement. Le Gouvernement n’agit qu’à la marge sur les conditions d’examen des crédits immobiliers ou le zonage du prêt à taux zéro et ne règle pas les nouvelles hésitations des Français à investir dans leur propre logement.

Selon une étude de de l’ANIL, la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) et l’observatoire des loyers : « sur les 30,2 millions de résidence principales, 58% sont occupées par leurs propriétaires et 40% par des locataires, soit 12,1 millions de logements locatifs, le parc locatif social totalisant 5,1 millions de logements, soit 17% de l’ensemble des résidences principales et le parc locatif privé, 7 millions, soit 23% de l’ensemble des résidences principales » L’écart se creuse entre le nombre de logements dont la construction a été autorisée, 483 000 en 2022, et le nombre de logements effectivement mis en chantier, 370 800 cette même année 2022. Et ce décrochage concerne autant le parc privé que le parc social. Dans le même temps, seuls 121 875 logements neufs ont été vendus en 2022. Et l’on comprend encore mieux l’ampleur du problème lorsque l’on sait que pour loger les Français, 500 000 logements devraient sortir de terre chaque année.

Les explications de la crise sont multiples mais désormais bien connues : renchérissement du coût de la construction lié à l’augmentation du coût des matières premières, manque de main d’œuvre, et exigences de la REE2020 ; hausse du prix du foncier qu’implique la prise en compte du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols. Dans le même temps, pour lutter contre les passoires thermiques, bien au-delà des exigences européennes, la France a instauré un Diagnostic de performance énergétique (DP) assorti, le cas échéant, d’impossibilité de conserver le logement dans le parc locatif en l’absence de coûteux travaux. Ces DE font peser une véritable menace sur le parc locatif, privé comme social. Le nombre de logements vacants risque d’exploser et les loyers, de monter en flèche.