photo poutres en I

Arrivées dans la construction bois de la technologie de construction metallique

Arrivées dans la construction bois de la technologie de construction métallique, les poutres en I en bois et dérivés du bois occupent aujourd’hui une place importante dans le secteur du bâtiment. La raison de cette forte présence ? L’industrialisation de la production qui remonte aux années soixante. « La première poutre en I industrialisée a été réalisée en Amérique du Nord, par Trus Joist », rappelle ­Frank ­Kupferlé, ingénieur civil des Mines et gérant de la société C4Ci, spécialisée dans le conseil en ingénierie, le développement et la commercialisation de produits ou systèmes constructifs bois. « Dans ce modèle, les membrures ont une rainure et les âmes sont profilées pour permettre un assemblage par pression et collage. Au départ, le concept de poutre en I consiste à mettre de la matière là où l’on en a besoin, et en faire l’économie là où elle peut être superflue, et à profiter des apports bénéfiques de cette section en matière de rigidité pour optimiser le rapport quantité de matériau/performance. Dans la construction métallique, cette économie de la matière était d’autant plus importante que le format plein d’une poutre implique un poids et un coût importants et rédhibitoires. On a donc très rapidement travaillé avec des profilés différents : en C, en U, en H, en I… La construction bois utilise traditionnellement des poutres de section rectangulaire pleine parce que c’est ce format que l’on arrive à extraire par découpe le plus simplement à partir d’une grume. Lorsqu’on a développé le concept de poutre en I à base de bois, on a réappliqué le principe utilisé en construction métallique concernant la résistance des matériaux, en estimant qu’on pouvait finalement obtenir une inertie, donc une rigidité suffisante, pour des applications données moyennant l’utilisation de moins de matière. Ce précepte a aussi influencé le choix des matériaux, en différenciant les deux composants, membrures et âme, selon les efforts à reprendre : les membrures, d’un point de vue mécanique, reprennent principalement les efforts de flexion, traction et compression, alors que l’âme va principalement reprendre les efforts de cisaillement et joue un rôle d’écarteur pour fournir de l’inertie : plus la poutre est haute, plus elle va avoir de l’inertie, donc de la rigidité. On va donc choisir comme matériau de membrure un matériau performant en flexion et traction – le bois étant naturellement performant en compression –, alors qu’on cherchera à optimiser l’âme au moyen d’un matériau surtout performant au cisaillement. » Aujourd’hui, le marché européen est dominé par l’offre proposée par de grands fabricants nord-américains (Trus Joist, Boise Cascade, Louisiana Pacific…), scandinaves (Finnforest, Masonite), anglais (James Jones) ou encore allemand (Steico) qui ont amené un mode de commercialisation spécifique. La recette ? On ne fabrique plus à la demande, on travaille avec des sections standard. On ne vend pas uniquement une poutre, on vend un système, du service, la capacité à réaliser des études, faire des plans, à livrer des kits qui ont été taillés et préparés à l’avance, avec tous les accessoires qui vont avec… « Dans l’univers de la poutre en I industrialisée, il y a une approche de livraison, de distribution et de mise à disposition de produits qui n’existait pas et qui, aujourd’hui, n’a pas encore vraiment d’équivalents dans la construction bois dite traditionnelle, remarque ­Frank ­Kupferlé. Le fabricant “traditionnel”, bien qu’il possède de belles machines de taille, ne livre que très peu de kits de planchers ou de kits de toiture “prêts à emploi” sur le chantier. » Ces mêmes fabricants de grande envergure dynamisent depuis une dizaine d’années le marché français, historiquement structuré différemment, et tendent à s’imposer tant en volume qu’en parts de marché, tirant par là même l’ensemble de la profession vers le haut. Photo France Poutres

Les poutres en I tricolores

En France, les sites de production de la poutre en I ne ressemblent en rien à ceux des géants nord-­américains et européens. « D’un point de vue industriel, la France a une multitude de sites de fabrication à vocation régionale qui produisent des volumes qui peuvent être intéressants à l’échelle nationale – l’unité de référence étant la dizaine de milliers de mètres linéaires –, mais totalement négligeables à l’échelle européenne (où l’unité de référence est le million de mètres linéaires), dit ­Frank ­Kupferlé. On a des productions de taille plus modeste avec des installations dans des locaux plus petits, avec souvent une seule presse semi-­automatisée ou pas automatisée, mais qui permet cependant une plus grande flexibilité et réactivité. » C’est l’avantage de ce mode de fonctionnement presque artisanal : les petits sites de production répondent facilement aux demandes de fabrication sur mesure – chose impensable chez les majors. Ils produisent donc toutes sortes de sections, standard ou pas, et principalement relativement fortes. On peut ainsi expliquer la spécificité du marché français où la poutre en I s’est introduite dans les applications de type panne et panne à dévers. « C’est une véritable exception culturelle française, constate ­Frank ­Kupferlé. La panne va travailler dans le sens transversal de la toiture, et on la pivote pour qu’elle puisse supporter des chevrons de faible section, reproduisant ainsi un mode constructif de charpente traditionnelle dans notre pays. Cette application est quasi inutilisée dans les autres pays. » Mais les grands fabricants ont bien su s’adapter à la situation. Finnforest n’a pas hésité à répondre à ce besoin spécifique en lançant fin 2010 un nouveau produit dans sa gamme de poutres en I : la panne FJImaX. Dotée de membrures de 51 mm d’épaisseur et 96 mm de largeur en lamibois Kerto‑S et d’une âme en OSB‑3 de 10 mm d’épaisseur, celle-ci est particulièrement adaptée pour accueillir tous les types d’isolants, de panneaux et de couverture. photo poutre Nailweb

Question de pertinence

Économie de matière, légèreté, modularité, grande portée sont les principaux avantages que l’on reconnaît à la poutre en I. « C’est un produit totalement optimisé pour des applications données, explique ­Frank ­Kupferlé. On a contrebalancé le fait d’avoir globalement une rigidité que l’on peut considérer comme plus faible que celle d’une section extérieure équivalente en bois massif par une meilleure homogénéité des composants utilisés et une maîtrise des performances par le processus industriel qui met en œuvre des composants plus pointus sur un certain nombre de résistances et propriétés mécaniques. » Alors, s’agit‑il d’un produit passe-­partout ? Absolument pas. Malgré la multitude des applications possibles, la poutre en I n’est pas toujours une solution idéale. Si elle permet d’obtenir un système performant de planchers résidentiels, avec ou sans chape, sur des portées allant (pour les poutres des grands industriels) de 3,5 à 5 m, quand les charges deviennent trop élevées, ou quand on conçoit des franchissements plus importants, la poutre en I n’est plus forcément un choix raisonnable, sauf à se tourner vers les produits nationaux de section plus forte. « Sur le marché des poutres de plus grandes sections – fournies essentiellement par les fabricants français –, la vraie zone de pertinence se situe à la périphérie de la zone de pertinence de petites poutres fabriquées par des industriels étrangers, constate ­Frank ­Kupferlé. Les rénovations lourdes, avec des contraintes de franchissement et de hauteur élevées, la surélévation, l’aménagement des combles, les pannes à dévers : ce sont les domaines dans lesquels les grosses poutres dites artisanales ont trouvé des applications fortes parce qu’elles offrent des performances qui permettent d’aller plus loin et justifient leur surcoût par rapport aux poutres des grands industriels. En outre, elles trouvent en face d’elles, en concurrence, des solutions en lamibois ou en lamellé-­collé qui sont capables de faire le travail, mais qui coûtent plus cher que ces poutres en I de fortes sections. Chacun de ces produits a trouvé ses applications phares là où il est pertinent à la fois techniquement et économiquement. Dès qu’on sort de la zone de pertinence, on commence à se battre sur de mauvais arguments. Les grosses poutres sont dans un domaine qui va être plus en compétition avec le lamellé-­collé et qui peut, dans un certain nombre d’applications, être plus intéressant que le lamellé-­collé. On a fréquemment parlé de pouvoir aller jusqu’à 10, 12 ou 15 m de portée. Ce sont des cas très exceptionnels de toitures très légères, industrielles, en pannes à faible pente dans les zones où il y a peu de neige. Il ne s’agit absolument pas de salles de sport qui demandent des portées de 20 m où le lamellé-­collé est plus à même de répondre. » photo connecteurs metalliques

Tendances du marché

Pour ­Sébastien ­Lévénez, vice-­président du pôle Construction pour l’Europe de l’Ouest de Finnforest, le marché le plus prometteur dans les années à venir est celui des bâtiments à basse consommation d’énergie : « La poutre en I, en utilisation verticale, permet d’apporter de l’inertie et offre ainsi une meilleure isolation, explique-­t‑il. Actuellement, le marché le plus porteur est celui du résidentiel neuf dans l’application plancher. Néanmoins, nous avons également un marché important en rénovation, plus particulièrement dans les grandes agglomérations comme Paris, grâce notamment à la légèreté de la solution. » En 2010, le groupe finnois a commercialisé en France 440 000 mètres linéaires de poutres en I, dont environ 20 % en charpente, 70 % en planchers et 10 % en murs. « L’Angleterre reste le marché le plus important pour la poutre en I, estime ­Sébastien ­Lévénez. Mais la France et la Belgique connaissent aujourd’hui une croissance à deux chiffres dans le domaine du résidentiel, aussi bien en neuf qu’en rénovation. » La prédominance des applications en plancher en tant que facteur de croissance est également une tendance remarquée par ­Olivier ­Chapeau, directeur commercial de France Poutres (85). C’est à l’intention de ce marché que la société vendéenne a mis au point un produit spécifique, « le kit Inosol qui présente l’ensemble du “squelette” porteur : solives Inopanne, porteuses et rives en lamellé-­collé, le tout coupé à longueur, traité classe 2 incolore et accompagné d’accessoires et d’un plan de pose », précise ­Olivier ­Chapeau qui voit le plus grand potentiel de développement pour les poutres en I sur le marché du plancher en rénovation. En attendant, la société France Poutres continue sa progression : en cinq ans, elle a doublé le volume de production de poutres Inopanne pour atteindre 120 000 mètres linéaires par an. Pour le groupe Wolseley qui commercialise deux types de poutres en I – Swelite, à âme bois, dans la gamme 360° de Silverwood, et Nailweb, à âme métallique –, le marché est bien partagé entre le neuf et la rénovation. Si la poutre Swelite a trouvé ses clients surtout dans le neuf, sur le marché de la maison à ossature bois, les poutres Nailweb sont plus présentes sur les chantiers de la rénovation, de l’extension et de la transformation de combles. Les poutres en I de la gamme 360° sont utilisées à 70 % pour des planchers, les 30 % restants en tant que chevrons. Pour la poutre Nailweb, les proportions sont inversées : 70 % en pannes, 30 % en planchers. « En 2010, nous avons enregistré une progression de ventes de 55 % pour la Swelite, qui a été lancée en 2009. C’est le marché de l’ossature bois, avec l’utilisation des poutres en I en plancher étage et en dalle bois sur vide sanitaire, qui est actuellement le plus porteur et il est en croissance constante chaque année, estime ­Thomas ­Lelièvre, responsable commercial de la gamme Structure chez Silverwood. Juste après vient le marché de la rénovation et de la surélévation. Le marché de l’ancien, avec les mises en conformité aux nouvelles normes, est par ailleurs très prometteur pour les années à venir. »