Transformation de leau en glace, fonte de la cire Ces réactions physiques bien connues reposent sur un principe simple : celui des matériaux à changement de phase (MCP). Au-delà dune certaine température, les matières solides se liquéfient en absorbant les calories de latmosphère ambiante. Redevenant solides lorsque la température diminue, elles restituent alors les calories. De ce principe est néea lidée que les MCP pouvaient être employés dans les bâtiments pour faire des économies dénergie.Lhypothèse nest pas neuve, et la recherche battait son plein au milieu des années 1970, après le premier choc pétrolier ; des développements qui nont pour la plupart jamais vu le jour en raison du coût de ces techniques et du fait que les économies dénergie ont ensuite vite perdu de leur intérêt. Aujourdhui que la préservation de lenvironnement est au goût du jour et surtout que lénergie est suffisamment chère pour justifier son économie, le stockage de lénergie thermique devient un marché à part entière. Les matériaux à changement de phase renaissent donc de leurs cendres sous de multiples applications.Stocker la chaleurSpécialisée dans le stockage dénergie thermique par les MCP, la jeune entreprise Kaplan Energy a, entre autres, mis au point des microcapsules destinées à améliorer le rendement des chauffe-eau. « Lidée est de continuer à utiliser lénergie produite, même quand la source nest plus là », nous explique Yann Kaplan, directeur de lentreprise. Le principe est particulièrement compréhensible dans le cas de lénergie solaire qui a pour défaut dêtre intermittente. Si elle est abondante à certains moments de la journée, son stockage est cependant limité. Ainsi, quand leau du ballon arrive à la température voulue (généralement 60°C), au lieu que le système sarrête, les microcapsules continuent à absorber lénergie solaire, contribuant à augmenter le volume énergétique de la cuve de stockage sans pour autant que leau ne monte en température. Cette technique a pour autre avantage daméliorer le rendement des capteurs thermiques, car celui‑ci est dautant plus élevé que la différence de température entre le liquide caloporteur et la température du capteur est importante.Ce même procédé est également employé au service des pompes à chaleur. Ces dernières ont en effet une durée de vie inversement proportionnelle à leur nombre de cycles. Le fait de pouvoir stocker davantage dénergie dans les cuves tampons, en plus daccroître les économies dénergie, leur offre donc une longévité plus grande. Piles à combustible, incinération des déchets, chauffage bois , les MCP peuvent ainsi servir quelle que soit la source dénergie.Inertie de faible épaisseurLes propriétés des matériaux à changement de phase connaissent aussi des applications dans les matériaux de construction. « On a construit un peu trop léger ces dernières années, ce qui pose notamment des problèmes de confort dété », explique Daniel Quenard, chef de la division matériaux au CSTB. En cause, le manque dinertie de certaines constructions, particulièrement les systèmes légers comme lossature bois, la charpente métallique, les façades-rideaux en verre Que ce soit en plaques comme le Dupont Energain, ou sous forme déléments incorporés directement aux matériaux de construction comme le Micronal de BASF ou les microcapsules mises au point par Kaplan Energy, les MCP sintègrent dans les sols, murs, plafonds , cela afin de « mimer » lépaisseur du mur.Le principe est toujours le même : lorsque la température de la pièce dépasse la température de fusion du MCP, celui‑ci va fondre et absorber la chaleur surabondante (été) ou présente au mauvais moment de la journée (hiver), afin de maintenir une température agréable dans la pièce et ainsi retarder lutilisation des systèmes de climatisation ou de chauffage. En thermique dhiver, on privilégiera une température de fusion autour de 19°C à 20°C et de 25°C à 26°C en été ; malheureusement, un matériau ne peut présenter deux points de fusion. « Léconomie se situerait entre 8% et 15% lhiver et à près de 35% lété », estime Raoul Rioual, spécialiste Energain France pour Dupont de Nemours.De bien belles performances quil faut pourtant relativiser. « Lutilisation des MCP est très délicate et réclame des calculs préliminaires pour vérifier leur efficacité selon le bâtiment considéré, son utilisation et sa localisation », prévient Daniel Quenard. Raoul Rioual conseille principalement de recourir à lEnergain dans des pièces orientées sur un axe sud-ouest avec de grandes surfaces vitrées, un système constructif léger et soumis à dimportants apports solaires. Les locaux du rez-de-chaussée ne sont généralement pas concernés ; souvent implantés sur une dalle béton, ils possèdent déjà une certaine inertie. On peut également imaginer une application dans des salles de réunion qui montent très vite en température lorsquelles sont utilisées (concentration de personnes, ordinateurs, sonos ). Daniel Quenard estime cependant que les échanges thermiques par convection sont trop lents pour ce genre dutilisation.Un fonctionnement sous assistanceLa principale difficulté provient du fait que, pour agir, les matériaux à changement de phase doivent nécessairement se resolidifier à un moment ou à un autre. Ils ne peuvent, en théorie, sintégrer que dans des locaux bien isolés et surtout être associés à une surventilation nocturne afin de se régénérer plus efficacement. Encore faut‑il que la température extérieure redescende la nuit en dessous du seuil de fusion, ce qui nest pas toujours le cas, surtout en ville.Lefficacité des MCP nest donc pas évidente et, étant donné leur prix élevé, il faut pouvoir juger des bénéfices apportés par linstallation et linvestissement quelle nécessite. « On peut parfois arriver au même résultat simplement avec de leau, qui nest pas chère et qui possède une certaine inertie, prévient Daniel Quenard. Il faut savoir aussi quun fonctionnement purement passif semble difficile et quune petite assistance est toujours bienvenue. » Les MCP seraient ainsi dautant plus efficaces quils seraient aidés par une pompe à chaleur, un puits canadien ou tout système permettant de rafraîchir un local.De multiples développementsBeaucoup de travaux sont en cours pour essayer dassocier les MCP aux systèmes de conditionnement dair, en sintégrant dans un échangeur par exemple. Dautres applications sont également promises à des développements futurs. Lintégration de MCP couplés à des cellules photovoltaïques, dans des façades double peau, a été étudiée pour préchauffer lair neuf et minimiser les chutes de rendement des cellules par une élévation de température en face arrière. Avec une température de fusion proche de la température de rosée, ils pourraient produire un enduit qui, sur les faces exposées au soleil, éviterait la condensation et donc les moisissures. Sur le même principe, un matériau à changement de phase à 0,5°C, intégré au bitume, peut éviter le gel de certains passages routiers.Les MCP constituent donc un marché prometteur. « Plus on avance, plus on arrive à surmonter les problèmes techniques et plus létendue des applications augmente », senthousiasme Yann Kaplan. Le secteur est en pleine effervescence et les industriels, nous laissant dans lexpectative, annoncent des nouveautés et améliorations, sans doute dès janvier 2011 !Aurélie Cheyssial