Étrangement, Bordeaux, craintive de devenir ville muséale, a fait vœu de modernité en généralisant – pour ses nouvelles constructions – le recours aux façades de verre et de béton ciré. Ce paradoxe au pays du label UNESCO, allié à la préférence donnée aux produits de placage, avait exclu depuis environ vingt ans le recours à la pleine pierre pour réaliser des constructions neuves. Sollicité par un promoteur parisien pour une opération initialement située à Libourne, Jean-­Christophe ­Perrodo, cofondateur d’Agencéa, a proposé à son client un terrain situé à l’angle du boulevard Antoine-­Gautier et de la rue Franz-­Despagnet. Le corps du bâtiment déjà présent dans l’angle du site a été restauré et prolongé par un immeuble entièrement neuf. Dès l’origine du projet, en 2005, tenant compte de l’historique du quartier, Agencéa, bien que spécialisée en architecture contemporaine, a préconisé de réaliser des façades sur le mode du pastiche, mais la mairie préférait, elle, un projet plus contemporain. Avis pris des élus locaux et de la population, c’est finalement la proposition initiale du pastiche qui a été retenue « afin de ne pas heurter les habitants », précise Jean-­Christophe ­Perrodo. « Le but était de construire un immeuble qui puisse tellement bien s’intégrer dans l’existant que les passants ne s’apercevraient pas qu’il est neuf. Le pastiche, en fin de compte, c’est essayer de reproduire une architecture d’hier, mais pas de la copier, car il s’agit d’une façade entièrement recomposée. » A ainsi commencé, en juin 2008, un chantier global de 2,3 millions d’euros qui a été définitivement livré le 16 juillet dernier (ce délai intégrant l’extraction et l’évacuation des blocs de pierre découverts dans le sol au moment du terrassement).
Des modénatures prononcées
Les 120 tonnes de pierres utilisées pour la façade et les moulures proviennent des carrières charentaises (Sireuil Hauteroche) et girondines (Frontenac), les pierres issues de ces dernières étant – en raison de leur résistance – particulièrement adaptées à la réalisation des soubassements. La façade a ensuite été montée par blocs de pierre calepinés à l’ancienne (60 cm de large par 33 cm de haut) avec une base de 25 cm d’épaisseur, cette dernière augmentant en fonction des modénatures qu’il faudra tailler dans la pierre une fois en place. Les corniches, elles, sont prétaillées. « Si les outils ont tout de même été un peu améliorés par rapport à ceux qui existaient au XVIIIe ou au XIXe siècle, la technique de construction de la façade en pierre pleine reste la même », précise Jean-­Christophe ­Perrodo. Par rapport à des façades traditionnelles, une façade en pierre pleine se monte donc comme un mur en brique ou en parpaing, ce sont les sculptures des modénatures qui augmentent la durée des travaux. « Et ces modénatures étant prononcées, elles ne pouvaient être réalisées qu’avec des pierres pleines à la différence des parties sans modénature qui auraient pu être réalisées en placage de pierre, mais la différence de coût n’était pas significative. Alors, autant tout faire en pleines pierres ! » D’autant que l’un des atouts majeurs de cette région et de cette ville dont le patrimoine réclame un entretien constant, c’est d’avoir su préserver des corps de métiers qui, tels les tailleurs de pierre, sont toujours en pleine activité et conservent leur savoir-faire. Généralement sollicités pour intervenir sur du placage ou du ravalement, ils ont pu revenir sur cette opération à des pratiques traditionnelles de leur art.
Fiche d’identité
  • Maître d’ouvrage : La Générale de promotion (75)
  • Maître d’œuvre : Jean-Christophe Perrodo – Agencéa (33)
  • Coût total des travaux : 2 330 000 € HT