Le 13 novembre 1922, la Commission municipale de voirie et de reconstruction de la ville de Reims décide de lancer un concours d’architectes afin de construire des halles en remplacement de l’ancien marché couvert qui avait été détruit lors de la Première Guerre mondiale. Tous les architectes français peuvent participer, à la seule condition qu’ils aient déjà réalisé un bâtiment du même type. Un lieu fonctionnel et hygiénique, disposant de points d’eau et pouvant être facilement desservi par le train : voilà ce qui est exigé.
Une création architecturale de Maigrot et Freyssinet
Trente-quatre candidats présentent des projets. Le jury, présidé par le maire de l’époque, Charles Roche, en choisit onze, qui sont exposés au musée municipal au printemps 1923. Le 5;mai, l’affaire est conclue : le jury opte pour la proposition ­d’Émile ­Maigrot, un grand arc parabolique en béton armé avec deux niveaux de galeries latérales. Les travaux de trois autres cabinets d’architectes sont également cités, et reçoivent des prix de consolation : ­Hippolyte ­Portevin, ­Albert ­Guilbert et ­Champion & ­Mellone. Le chantier de construction ne commence qu’en avril 1927, sous la responsabilité de la société ­Limousin et ­Freyssinet. La voûte de béton de 5;cm protégée par une chape de 2;cm tendue par des tirants inclus dans les poutres représente un étonnant défi technique. « Imposer à la matière des formes nées de mon imagination est pour moi à la fois un besoin impérieux et une source de joie inépuisable. Mes dons intellectuels sont moyens, et, en dehors de ce qui m’a semblé utile à mes recherches ou amusant à connaître, je ne sais rien. Je suis un intuitif, beaucoup moins soumis à sa raison qu’aux impulsions de son subconscient, un survivant d’une race d’artisans aux instincts constructifs formés par des millénaires d’isolement dans des conditions de vie particulièrement dures. Je considère qu’une construction industrielle n’est un fait architectural que dans la mesure où elle constitue une œuvre d’art, exprime des idées ou fait naître des émotions. » Ainsi parlait l’ingénieur ­Eugène ­Freyssinet. L’ouvrage, particulièrement imposant, est inauguré le 26 octobre 1929 et, en 1930, la Société centrale des architectes décerne une médaille à ­Émile ­Maigrot, dans le cadre du Salon des artistes français. Depuis, les halles du Boulingrin ont été plusieurs fois copiées, dans différents pays, dont l’Espagne.
Dégradations et renaissance
Lors de la Seconde Guerre mondiale, les verrières sont détruites. On a alors l’idée de les remplacer par un verre de triple épaisseur. C’est une mauvaise idée : certes, l’isolation est meilleure, mais la condensation qui s’accumule sur les parois des voûtes entraîne des désordres sérieux. Des morceaux de béton se détachent, et tombent. En 1959, il faut installer un filet pour assurer la sécurité. En 1988, les halles sont fermées. Le conseil municipal, qui avait déjà songé à tout démolir, s’interroge sur l’avenir. Heureusement, cette décision irrémédiable n’est pas mise à exécution et, au contraire, l’intérêt architectural prend le pas sur les délibérations hasardeuses : les halles du Boulingrin sont classées aux MH par décret du 9 janvier 1990. Entre 2000 et 2006, le bâtiment et ses abords sont sécurisés. La restauration est en marche.
Mise en place de 600 tonnes d’échafaudages
Le bâtiment d’une longueur de 112;m et d’une de largeur 49;m abrite une voûte de 20;m de haut flanquée de grands pignons vitrés sur les côtés. Les travaux ont nécessité le déploiement d’échafaudages gigantesques : pas moins de 600;t d’échafaudages Universel Layher ont été nécessaires pour la rénovation intérieure et extérieure des halles. Ces équipements ont été installés par la société Antoine Échafaudages, partenaire historique de Layher, qui estime le temps de montage/démontage, effectué par deux équipes de cinq personnes, à près de 12;000;h.
Les structures intérieures
À l’intérieur, un échafaudage de 200;t permettant le travail sur toutes les parties en béton se présente sous la forme d’une plateforme volumique de 18;m de haut, 60;m de long et 34;m de large. Elle permet la reprise des deux tiers de la toiture exécutée par le dessous et fera l’objet d’une rotation pour travailler le tiers restant. Étant donné le poids de la structure intérieure – et puisque celle-ci permet également l’étaiement des voûtes –, une charge très importante est ramenée sur l’échafaudage. La portance est de 600;kg par mètre carré et les descentes de charge atteignent jusqu’à 2,5;t par poteau. Le sol étant fragilisé par le temps, le bureau d’études Layher a donc élaboré un sous-­étaiement en sous-­sol (entre le sol et la dalle du rez-de-chaussée) pour soutenir l’ensemble.
Des roues spéciales d’une résistance exceptionnelle
Afin d’assurer les finitions après dépose de la plateforme intérieure, 6;m sur les 60;m de plateforme fixe ont été équipés de roues de 250;mm de diamètre pouvant chacune supporter 4,5;t en charge statique et 1,7;t en charge dynamique en se déplaçant sur des chemins de roulement. Ces roues ont été spécifiquement développées par Layher afin de résister à des charges hors normes pour des échafaudages roulants. Un système comparable avait précédemment été installé dans les hangars techniques de l’Airbus pour la maintenance des avions A380.
Un avenir prometteur
Lorsque les 54;m d’échafaudages fixes seront démontés, la partie roulante sera scindée en trois structures afin de se mouvoir plus facilement. Ces structures pèseront entre 5 et 8;t (en tout presque 26;t), culmineront à 18;m de haut pour 4;m de large. Elles seront tractées manuellement à l’aide de tire-­forts. La partie restant fixe pèsera, quant à elle, 174;t. Les échafaudages extérieurs occupent toutes les façades du bâtiment, y compris les zones sur le rampant des voûtes à l’aide de planchers. Un parapluie imposant de 6;m sur 24;m s’étend au-­dessus des deux voûtes partiellement vitrées pour les protéger des intempéries.
C’est ­François ­Chatillon, architecte en chef des Monuments historiques, qui se charge de l’opération de restauration, financée conjointement par l’État et la ville de Reims pour un budget de plus de 30;millions d’euros. Le quartier va trouver ici une nouvelle dynamique. Certes, le lieu retrouvera sa vocation première de marché, mais le vaste espace disponible permettra également d’organiser
des manifestations culturelles et sportives. Le chantier sera terminé en 2012. C’est toute une nouvelle vie qui commence.
S. V.
Qui était Émile Maigrot ?
L’architecte Émile Maigrot est né en 1880. Il est considéré à juste titre comme un précurseur pour ses audaces techniques. Après des études à l’École nationale supérieure des beaux-arts, il obtient son diplôme d’architecte en 1906. On lui doit des mairies, des écoles, des abattoirs, des reconstructions d’églises. Le béton armé et le métal sont ses matériaux de prédilection. Le projet des halles du Boulingrin est son œuvre la plus connue et la plus remarquable.