En plus de vingt ans d’existence, Tetrarc a fortement marqué sa présence dans la ville de Nantes. Arboréa, Playtime, La Fabrique, siège de la Banque populaire d’Atlantique, mise en place de la ligne 4, BusWay, aménagement de la route de Vannes… À l’origine de ces programmes hétéroclites, qui ont accompagné la transformation de la ville, quatre architectes qui un jour ont décidé de tenter l’expérience du travail en équipe. ­Michel ­Bertreux, ­Alain ­Boeffard, ­Claude ­Jolly et Jean-­Pierre ­Macé ont créé leur agence en 1988. Trois d’entre eux se sont connus à l’École d’architecture de Nantes, le quatrième a rejoint l’équipe après le diplôme. En choisissant le nom de l’agence, ils misent sur la simplicité : c’est le collage du préfixe grec « tetra », signifiant le nombre 4, et « arc » pour « architectes ».
Un quatuor pour la liberté de création
« Nous sommes un peu des touche-­à‑tout, des bricoleurs, dit Jean-­Pierre ­Macé. Nous avons commencé notre activité en faisant des meubles et c’est par ce biais que nous nous sommes familiarisés avec le bois, ce qui a forcément influencé notre regard sur ce matériau. À l’époque, nous n’étions pas certainement faits pour être architecte chacun dans son coin. Nous
avions besoin du dialogue autour de projets, d’échanges d’idées… » Et ces échanges portent leurs fruits. L’agence se démarque des autres par la diversité de ses points d’intérêt : urbanisme, aménagement, design industriel, muséographie, bâtiment… Les quatre archis sont effectivement des touche-­à‑tout avides de nouvelles expériences et le revendiquent dans la présentation de leur vision d’architecture : « S’appropriant la ville de façon
ludique, le groupe élabore des édifices qui cherchent systématiquement à transformer en événements à multiples facettes la complexité des programmes et des lieux. Son ambition est de stimuler un autre regard sur la ville et d’en renforcer son appropriation par des interventions expressives, imprimant comme une seconde nature à la morphologie urbaine. Tetrarc a recours à un vocabulaire organique visant à briser l’orthogonalité de la ville et à y apposer la marque personnelle du groupe. » Depuis cette année, l’agence compte quatre nouveaux associés : Romain Cateloy, Daniel Caud, Patrick Moreuil, et Olivier Perocheau.  Travaillant depuis quelques années à Tetrarc, ils seront chargés d’assurer la pérennité de l’agence après le départ de ses fondateurs.
Au-delà des codes de l’urbanisme formel
En 1995, sur l’île de Nantes, l’agence construit une crèche avec un des premiers toits à végétalisation extensive de type sédum jamais réalisés en France. Six ans plus tard, elle récidive en installant place de la Bretagne, en plein centre-­ville, un bâtiment avec un vrai jardin sur le toit. Immeuble multiprogramme comprenant un parking en sous-sol, un magasin de sport au rez-de-chaussée et au sous-­sol, des bureaux au niveau 1, et trois étages de logements-­villas dans un jardin sur le toit, Urban Mac est une réalisation qui casse les codes de l’urbanisme formel. Le métissage des fonctions (logements, commerces, bureaux) différencie le bâtiment de son voisinage immédiat : la tour Bretagne et les immeubles blancs abritant la poste et l’Urssaf. Pour les architectes de Tetrarc, ce nouvel immeuble aux formes inhabituelles « signe l’ère d’une capitale régionale tournée vers la complémentarité des fonctions et la valeur ajoutée de la création ».
Les fondateurs de Tetrarc se reconnaissent une certaine filiation avec les idées ­d’Alvar ­Aalto dans tout ce qu’elles véhiculent comme efficacité, pureté et simplicité. Les formes libres et souvent amorphes deviennent la marque de fabrique de l’agence. La présence du bois, même si parfois parcimonieuse et, au début, surtout en façade de réalisations, permet de transmettre la notion du temps qui passe et qui laisse ses marques.
Bienvenue en terre promise
Deux projets d’habitat collectif, menés avec le promoteur immobilier ­Lamotte, Arboréa et Playtime (récompensé en 2007 par le prix national de la Pyramide d’Or, concours organisé par la Fédération des promoteurs constructeurs de France), seront pour Tetrarc l’occasion d’utiliser le bois autrement que sous forme de parement. Pour Arboréa, les architectes imaginent des loggias à ossature bois greffées sur les façades de trois immeubles de huit étages. Dans le cas de Playtime, la « pièce rapportée » en bois est une passerelle en lamellé-­collé de douglas recouverte de ganivelles en châtaignier. L’ensemble immobilier Arboréa comprend 134 logements, une clinique vétérinaire et des bureaux. Playtime est un immeuble multiprogramme comprenant un club de remise en forme au rez-­de-­chaussée, une école de sports à l’étage, une résidence pour étudiants de 57 studios, un jardin d’agrément, 38 appartements et une suite de 8 maisons duplex sur le toit. Adjacents, les deux projets font partie du plan de réaménagement de l’île de Nantes, mené sous la houlette de l’urbaniste ­Alexandre ­Chemetoff. La fermeture des chantiers, en 1987, a été à l’origine de cette opération de renouvellement urbain, une des plus importantes en France et prévue sur vingt ans. Se trouvant au centre géographique de l’agglomération nantaise, l’île est devenue un vrai terrain de jeux pour différentes équipes d’architectes. Ses 337 hectares sont un ensemble très hétérogène, fait d’un vieux faubourg, d’un parc d’habitations datant des années 1960-1970, d’entreprises, de bureaux et de friches industrielles. Tetrarc s’installe sur cette « terre promise » en janvier dernier, dans l’immeuble Manny que l’agence conçoit pour le compte du groupe Coupechoux, spécialisé dans le design global : aménagements d’espaces commerciaux, tertiaires, privés…, et diffuseur de mobilier contemporain. Construit derrière le palais de Justice et drapé d’une résille constituée de plus d’un millier de lames d’aluminium, le bâtiment est un vrai manifeste de liberté créative. Résolument futuriste, il tisse néanmoins, grâce au matériau utilisé, un lien avec les halles Alstom qui se trouvent juste à côté. Fidèles à leur vision ludique de l’architecture, les architectes n’hésitent pas à habiller l’entrée de cet édifice, à première vue austère et froid, de bois, en créant une mise en scène théâtrale qui surprend le visiteur.
Dimension poétique du bois
« Nous exploitons les effets de contraste du bardage pour affirmer la présence d’une forme courbe au sein d’un ensemble géométrique (salle de réunion de l’école du Sport de Playtime), poétiser une transition entre intérieur et extérieur (abbaye de Nieul-sur-l’Autise), affirmer les pièces extérieures à vivre qui prolongent nos logements collectifs et les végétalisent (Arboréa) », expliquent les architectes à l’occasion de la présentation du chantier de Playtime dans Wood Surfer, en juin 2007
(W. S. no;40, p.;41). Le bois apparaît parfois dans des contextes insolites, comme le chapiteau itinérant « Arbre citoyen », créé à la demande du maire de Nantes pour abriter des réunions et conférences avec des habitants de la ville. Il ne s’agit pas d’une tente classique, mais d’un projet architectural inspiré de vieux chênes et des arbres à palabres africains. Réalisée avec des branches de chêne assemblées pour reproduire la voûte protectrice de grands arbres, la structure est recouverte d’un filet sur lequel est posé un matelas gonflable circulaire en PVC. Dans le bâtiment de la médiathèque à Fougères (35), construit entièrement en béton, les architectes introduisent un objet singulier :
un œuf en bois qui deviendra une aire de conte. Le bois fait aussi son apparition de façon originale dans l’école des Arts à Saint-Herblain (44), qui sera inaugurée à la fin de l’année, sous forme de rotin qui habille les murs d’une salle et le garde-­corps d’escalier.
« Le bois est souvent présent dans nos réalisations en tant qu’objet, dit Jean-­Pierre ­Macé. Pendant longtemps nous n’avons fait appel à ce matériau que pour habiller des structures en béton ou en métal. Il se caractérise par sa chaleur, contient naturellement une charge poétique. C’est pourquoi, en comparaison avec le métal, il est plus facile de le faire accepter auprès des maîtres d’ouvrage, même sous des formes plus insolites. »
Les pieds sur terre ?
En préparant l’année dernière le concours du quartier Rosa Parks à Bordeaux (une cinquantaine de logements à ossature bois, voir l’article page 28), l’agence a changé de regard sur le bois. Dans ce concept modulaire de la construction, l’approche poétique a cédé la place aux rigueur et logique industrielles. C’est la première fois que Tetrarc concevait un projet 100;% bois et travaillait en relation directe avec l’industriel. « Le dialogue avec Everwood n’a pas posé de problèmes, dit Jean-­Pierre ­Macé. Nous avions en face un partenaire ouvert à la discussion, capable de faire évoluer son outil industriel pour s’adapter aux contraintes du projet. Nous avions déjà l’habitude de travailler avec des charpentiers et avons toujours fait beaucoup de dessins pour aller au-devant de solutions techniques que doit présenter l’entreprise. » Après l’expérience de Bordeaux, d’autres maîtres d’ouvrage se sont montrés intéressés par le système modulaire et l’agence travaille actuellement sur différents projets de logements à ossature bois. Chose qui ne manquera pas de faire augmenter la part du bois dans les réalisations de Tetrarc. Néanmoins, les architectes nantais ne comptent pas abandonner l’approche ludique
de l’architecture qui est définitivement leur signe distinctif.
Anna Ader