François Cornut-Gentille, maire de Saint-Dizier et député de la Haute-Marne, ne cache pas sa joie, et l’on comprend vite à son sourire et à sa sympathique fébrilité que l’achèvement des travaux de restauration du théâtre – et une toute nouvelle saison de spectacles parrainée par la réalisatrice Coline Serreau ! – représentent une étape importante, tant pour lui-même que pour ses concitoyens, curieusement appelés les Bragards. En effet, pour une ville de taille moyenne, sans doute plaisante, mais que les difficultés économiques n’ont pas épargnée, voir renaître en plein centre un bâtiment aussi emblématique des bons souvenirs d’antan offre à chacun, de toute évidence, un symbole dynamisant dont la valeur affective dépasse de loin la simple restauration patrimoniale. C’est qu’ils y tiennent, les habitants, à leur théâtre ! Et pour bien le comprendre, il faut remonter jusqu’au XVIIIe siècle…

Spectateurs moroses et comédiens exaspérés
Il existait jadis à Saint-Dizier une grande halle au blé, qui disparut dans les flammes en 1775. Ce fut l’occasion d’en reconstruire une nouvelle, réalisée selon les plans de l’architecte Dubut avant d’être inaugurée en 1814. Ce bâtiment ne plut à personne et, en 1860, le maire, Aimé Mahuet, décida de tout démolir puis de confier le projet d’une autre halle à l’architecte Hubert Fisbacq. Cette version fut considérée comme nettement plus acceptable, mais les Bragards n’en cessèrent pas pour autant de se plaindre amèrement du manque désolant de distractions : on s’ennuyait ferme. Ces doléances furent entendues, et, en 1864, on aménagea tout le premier étage en salle de spectacle, dans l’enthousiasme général. Un certain Chemet, cabaretier de son état et propriétaire de l’estaminet voisin, avait obtenu un accord intéressant : financer la salle contre un pourcentage sur les entrées. Au début, tout le monde y gagnait… mais le lieu n’avait vraiment rien d’extraordinaire : des décors s’écroulaient, le poêle rendait vite l’air irrespirable, des spectateurs moroses regardaient des comédiens exaspérés. Vers 1880, l’endroit était extrêmement dégradé. La situation ne pouvait plus durer.

La création d’un vrai théâtre
En 1906, devant l’insistance de la bourgeoisie locale, le maire Mougeot fit appel à l’architecte parisien Émile Ferrant, avec pour mission de transformer la halle en véritable théâtre à l’italienne, selon la mode splendide lancée dans la capitale au palais Garnier sous le Second Empire. Ainsi fut-il fait. Lors de l’inauguration, en janvier 1908, 714 spectateurs prenaient place sur trois niveaux confortables… même si l’établissement n’était pas encore chauffé ! Passées les horreurs de la première guerre mondiale, le théâtre de Saint-Dizier fut restauré dans le style des Années folles, avec des fleurs, des couronnes, des bouquets, des masques, et une grande innovation technique : un plancher mobile. L’époque était à la joie et aux débordements festifs. Sur scène, on applaudit de grandes œuvres lyriques, des opérettes, des pièces du répertoire classique et comique, sans compter des acrobates, des danseuses, des transformistes, des ventriloques… et sans oublier les premiers films de cinéma ! Mais toutes les réjouissances ont une fin et, petit à petit, les jours sombres revinrent. Pendant la seconde guerre mondiale, on donna des soirées distrayantes pour les soldats, et des galas de bienfaisance. Dans les années 1980, le vieux théâtre dont l’éclat s’était depuis déjà longtemps terni, tomba franchement en désuétude, puis fut finalement fermé en 2003. Toujours, ce lieu fut bien plus qu’une salle ordinaire :
tous les moments forts de la vie locale s’y sont déroulés, depuis les discours politiques jusqu’aux fêtes scolaires. Dès lors, on comprend combien les Bragards y sont attachés.

Les étapes de la restauration
C’est le cabinet d’architecture Fabre et Speller qui s’est chargé de piloter la restauration et la remise aux normes complète de cet édifice. Les analyses stratigraphiques des décors peints intérieurs, réalisés par l’équipe de Mattei Lazarescu, ont permis de redéfinir le décor des années 1920, époque prise comme base de référence pour la restitution de l’atmosphère architecturale. Quand cela fut possible, les peintures originales ont été préservées, tandis que, dans d’autres zones, les spécialistes repeignent les ensembles floraux sur fond rose, ou, au plafond, un fond bleu étoilé entouré de moulures. Les sièges et les mains courantes ont été retapissés. Le lustre de la grande salle est nouveau : l’ancien, conservé, est à présent dans l’entrée. La cage de scène est fermée grâce à un nouveau rideau. Les circulations internes ont été revues et modernisées. La scène, d’une superficie de 12m x 7m, dispose maintenant d’un plancher détrappable, et l’on peut passer de cour à jardin par dessous. Le parquet du parterre a été gradiné et légèrement bombé pour une meilleure visibilité. La fosse d’orchestre peut contenir deux fois plus de musiciens qu’autrefois, et la régie, bien entendu, est techniquement à la pointe du progrès. La capacité actuelle de la salle est de 334 spectateurs. Le budget de l’opération est d’environ 3 millions d’euros, répartis entre la Ville de Saint-Dizier (pour près de 45%), le FEDER, l’État/Drac, la Région et le département.
De taille modeste, mais très bien proportionné et remarquablement mis en valeur, le théâtre de Saint-Dizier est une vraie réussite architecturale et une belle aventure humaine.

S. V.

Les principaux acteurs du chantier
Maîtrise d’ouvrage : Ville de Saint-Dizier
Maîtrise d’œuvre : Fabre & Speller
Économiste : Sibat
Scénographe : Scene
OPC et mission SPS : ACE BTP
Bureau de contrôle : Apave
Coordinateur SSI : Sastec
Restauration décors peints : Atelier Lazarescu
Charpente bois/couverture/zinguerie : Buguet
Menuiseries : Reb et Éloi
Décoration staff : Kozak
Restauration sièges : Jezet
Cloisons/faux-plafonds : Bertin
Métallerie/serrurerie : Meuse Métal
Revêtements sols durs : Rauscher
Chauffage/ventilation/électricité : Forclum