La loi Grenelle 1, sans jamais la citer, valorise la densité urbaine. Elle préconise en effet une économie de foncier. Deuxième pays européen consommateur despace, la France voit, depuis trente ans, un centième de son territoire sartificialiser tous les dix ans. « Aujourdhui, 8 % des sols sont occupés, ce qui paraît peu, mais quand on enlève les forêts, les montagnes il ne reste finalement pas grand-chose », commente Olivier Gaudron, chargé de projet au PUCA (Plan urbanisme construction et architecture), un service du ministère de lÉcologie. Derrière cette volonté de densifier se cache un souci déconomie en termes de réseaux (routiers, eaux, électricité ), dénergies, un renforcement des liens sociaux, mais aussi une crainte concernant la mobilité des personnes. « Si lon considère quil ny aura bientôt plus de pétrole, les habitations situées loin des centres-ville, des centres de travail ou de commerce, risquent de produire bientôt des populations précaires sur le plan du déplacement », poursuit Olivier Gaudron.À la recherche de la densité ou de l’intensité ?Le mot densité fait pourtant peur. Des sondages viennent régulièrement rappeler que pour 82% des Français, la maison indépendante constitue le logement idéal. Un habitat dense est au contraire ressenti comme insupportable, assimilé aux grands ensembles stigmatisés par les médias. La dissension entre urbanistes et citoyens nest pas évidente pour autant. Baromètre des préférences collectives, le marché de limmobilier met en exergue que les quartiers les plus chers, donc les plus recherchés, sont bien souvent les plus denses. La vérité est ailleurs. Musées, commerces, équipements, travail, la ville dispose datouts non négligeables auxquels chacun rêve davoir accès. « De plus en plus durbanistes nutilisent plus le mot densité, mais intensité », préciseÉric Charmes, maître de conférences à lInstitut français durbanisme et lun des commissaires de lexposition« Villes rêvées, villes durables ? » (voir encadré).La ville durable nest donc plus la ville dense mais la ville intense, un lieu où sépanouit la mixité fonctionnelle. Mais difficile pour les urbanistes de reproduire ce schéma.La densité est, de plus, une notion subjective. Construire une tour par exemple ne revient pas forcément à densifier, car on évite généralement de bâtir des tours mitoyennes afin de conserver les vues et une certaine luminosité. Paris, avec ses boulevards et ses immeubles de six ou sept étages, est la troisième ville la plus dense au monde après Le Caire, et elle se situe presque au même niveau que Manhattan ! De façon surprenante, dans le top dix des villes les plus denses au monde, on trouve aussi Monaco, Lyon, Grenoble et Nancy. Devant Hong Kong ou Montréal ! La densité nest donc pas là où on la croit, et si certains grands ensembles en sont la représentation populaire, beaucoup de quartiers de maisons individuelles peuvent abriter autant dindividus.La ville idéale et durable en débatLa densification est revenue au goût du jour dans les années 90, à la suite des travaux de deux chercheurs australiens, Peter Newman et Jeffery Konworthy. Leurs courbes indiquent que plus la densité des villes est faible (comme aux États-Unis par exemple), plus la consommation de carburant est élevée et engendre la dépendance automobile. De cette recherche, est née lidée que la ville durable serait la ville dense, provoquant un véritable retournement de la pensée écologique des années 70. « Celui qui vit dans une maison à la campagne, même sil est équipé de panneaux solaires et quil recycle ses déchets, peut annihiler tout le bénéfice de son comportement par ses déplacements automobiles »,ajoute Éric Charmes.Le débat ne sest pourtant pas arrêté à cette seule analyse. Jean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien et professeur à lInstitut durbanisme de Paris, a mis son grain de sel en révélant ce quil appelle « leffet barbecue » : même en contrôlant des variables comme le niveau de revenu ou la situation familiale, les habitants des centres-ville se déplacent plus (et parfois très loin) pour leurs loisirs que ceux qui vivent en périphérie. Peut-être parce que ceux-ci ont un jardin où ils peuvent profiter de leur barbecue …Or, un Paris/New York aller-retour en avion aurait presque autant deffet sur le climat que de rouler toute une année avec une voiture moyenne (20000km à 6l de diesel pour 100km) ou de chauffer une maison pendant un an. Il faut donc trouver un juste milieu. La densité idéale se situerait autour de 60 à 80 logements à lhectare : celle-ci serait suffisante pour faire vivre un certain nombre de services et déquipements de proximité avec des transports collectifs, et raisonnable pour éviter une trop forte demande despace le week-end.Retour au villageOn se rapproche ainsi de lorganisation villageoise : des maisons individuelles très rapprochées les unes des autres et de petites rues. « Si la population apprécie ce type de formes urbaines, les architectes les trouvent bien souvent rétrogrades. Or, si la préoccupation est de vendre des configurations relativement denses, avec des services de proximité, la possibilité de viabiliser les transports collectifs , la forme villageoise pourrait bien devenir lavenir des villes et notamment de la ville durable », indique Éric Charmes.Lobjectif nest pas forcément le village au sens où on lentend. Il sagirait plutôt de construire des quartiers présentant des formes villageoises qui se connectent aux autres parties de la ville via des transports collectifs. Une idée intéressante, mise en lumière par lexposition « Villes rêvées, villes durables ? », est celle des villages gares, plus connus sous leur nom américain de « transit villages », dont lun des chefs de file est lurbaniste Peter Calthorpe.Vers une densité imposéeConcrètement, la question se pose aujourdhui de savoir comment on peut redensifier et éviter que létalement urbain ne continue. « Au sein du ministère, on étudie les freins au réusage, à la requalification et au renouvellement des formes urbaines, nous informe Olivier Gaudron. Cela pose des questions trèscomplexes. En termes juridiques notamment, il est difficile de subdiviser une parcelle pour construire unbâtiment. » De plus, beaucoup de communes ne veulent pas densifier ; elles raisonnent de façon résidentielle et non en fonction des enjeux de la métropole avoisinante. « Autre problème, ajoute Éric Charmes, ces nouvelles zones pavillonnaires sont desservies par des systèmes en arborescence, des impasses, des voies en boucle. Or, les villes se développent souvent là où ça passe. Ces nouvelles banlieues, conçues comme des enclaves, empêchent donc spontanément toute urbanisation. »La loi « Engagement national pour lenvironnement », ou Grenelle 2, mettra laccent sur la réduction de la consommation despace. Les plans locaux durbanisme pourront, par exemple, imposer une densité minimale de construction dans des secteurs situés à proximité des transports collectifs existants ou programmés. La densité fera ainsi son entrée dans le code de lurbanisme. À chacun den imaginer des formes viables et durables. Aurélie CheyssialLes villes ne sétalent plus, elles sémiettentUn des problèmes en France nest pas tant lhabitat individuel que son émiettement. En périphérie des villes, une première banlieue, plutôt constituée dans la première moitié du XXe siècle, sétale continuellement. On a ensuite une banlieue plus diffuse, constituée de petits villages périurbains, entre 1000 et 2000 habitants, mais dont 80% de lespace nest pas constructible. Chaque commune a en effet le contrôle de son urbanisme et, après chaque vague de construction, les habitants bloquent la venue de nouveaux arrivants pour préserver leur cadre de vie. La demande de construction de maisons individuelles se reporte donc sur le village daprès et ainsi de suite. Les Américains appellent ça le « lip frog development » :le développement en saut de grenouille.