C’est au XIe siècle, vers l’an 1060, que le baron
Robert Ier de Vitré choisit l’éperon rocheux qui domine la Vilaine pour y faire bâtir son château, mais c’est bien plus tard, au début du XIIIe siècle, que le baron André III – marié en 1212 à Catherine de Thouars, dame d’Aubigné, fille de Guy de Thouars, duc de Bretagne – y fit reconstruire l’édifice de forme triangulaire si caractéristique que nous voyons encore aujourd’hui, qui comprend des tours puissamment fortifiées, reliées par des courtines. Au cours des dernières années du XIVe siècle, puis au XVe siècle, Guy XII, seigneur de Laval, vicomte de Rennes, baron de Vitré, seigneur de Gavre et d’Acquigny, châtelain du Désert et gouverneur de Bretagne, époux en secondes noces de Jeanne de Laval, dame de Châtillon et veuve du fameux connétable Bertrand du Guesclin, fit réaliser des transformations et des ajouts significatifs, notamment sur la tour de la Madeleine et la tour Saint-Laurent. Le beau châletet de l’entrée fut érigé.

Le temps des tourments
Au XVIe siècle, la peste fit des ravages à Rennes. Les rues résonnèrent des cris glaçants des charretiers clamant : « Sortez vos morts ! » avant de transporter leur sinistre fardeau aux fosses communes, et le Parlement de Bretagne, en fuite, se réfugia au château de Vitré. Puis, en 1589, le duc de Mercoeur assiégea la forteresse, qui tint bon pendant des mois. Au début du XVIIe siècle, alors que Guy XX de Laval avait rendu l’âme – lui qui, enfant, fut secrètement emmené à Sedan par sa grand-mère déguisée en pauvresse pour le sauver des horreurs des guerres de Religion –, l’édifice passa entre les mains de la famille de La Trémoille, puis tout se dégrada : le site fut peu à peu abandonné, la tour Saint-Laurent s’écroula à moitié, un incendie se déclara et fit des dégâts importants. En 1830, le département se porta acquéreur et décida d’installer une prison derrière les solides murailles médiévales, laquelle prison fut ensuite transformée en caserne de
garnison. Racheté à nouveau, cette fois par l’État, le château fut classé Monument historique en 1872, et une grande campagne de restauration s’étala sur près de trente ans, de 1875 à 1902. Celui que l’on a coutume de surnommer le « père des études historiques bretonnes », Arthur Le Moyne de La Borderie, y installa un premier musée dès 1876. Depuis, le bâtiment est régulièrement entretenu.
Les caractéristiques du chantier
Ce chantier actuel, sous la responsabilité de la Drac et des Bâtiments de France, concerne l’intérieur de la courtine est du château. Les archéologues ont préalablement effectué des recherches sur les parements anciens des murs, et ces études ont permis de déterminer des teintes différentes sur les joints et les enduits des époques précédentes. En effet, cette muraille présente des éléments caractéristiques allant du XIIIe siècle pratiquement jusqu’au XIXe siècle, se matérialisant par des variations chromatiques, et il fut décidé de les restituer au mieux dans le cadre de cette restauration. C’est l’une des contraintes techniques auxquelles l’entreprise Joubrel, en charge de l’opération, a dû faire face.
La reconstitution des coloris
Les maçonneries étaient devenues complètement instables à cause de l’érosion éolienne, de la pluie, et aussi du manque d’entretien. Gérard Brégent, responsable de Joubrel, décrit : « La première étape a constitué à se débarrasser de l’ancien mortier par piquage. Le rejointoiement des pierres est ensuite réalisé en mettant en œuvre la chaux Tradical de BCB, un produit qui s’adapte à ce que l’on attend de lui. Après de nombreuses recherches, nous avons pu retrouver des sables qui colorent légèrement le mortier et permettent ainsi de s’approcher des teintes d’origine, telles que les archéologues ont pu les déterminer. »

À la recherche des pierres de remplacement
Il est également nécessaire de remplacer un certain nombre de pierres, trop fragilisées et trop dégradées, notamment au niveau des ouvertures. Mais un nouveau problème a surgi : en effet, le château est essentiellement construit avec des pierres de schiste et de grès, qui étaient exploitées localement dans les siècles passés. On note aussi des zones de granit roux. Mais, aujourd’hui, ces gisements n’existent plus, et les carrières sont fermées. Dès lors qu’un approvisionnement régional s’avère impossible, comment se procurer les blocs de pierre nécessaires à la bonne conduite d’un chantier de cet ordre ? Gérard Brégent répond : « Lorsqu’un cas tel que celui-ci se présente, nous utilisons des matériaux de réemploi issus de démolitions de bâtiments locaux, et nous faisons notre possible pour trouver des schistes d’Anjou et des grès d’Alsace, qui ont la même texture et la même couleur. »
La restauration de la muraille de cette courtine est prévue pour durer un an.

S. V.

Joubrel :
des spécialistes du patrimoine
L’entreprise Joubrel, implantée à La Mézière, en Ille-et-Vilaine, a été fondée en 1925. Elle est spécialisée en maçonnerie et pierre de taille. La qualification Monuments historiques lui
a été accordée en 1972. À l’origine, elle prenait surtout en charge des chantiers à Rennes, puis sa zone d’activité s’est élargie jusqu’à couvrir aujourd’hui toute la Bretagne ainsi que les départements limitrophes. Joubrel, qui
rassemble une équipe de 25 collaborateurs, est membre du GMH (Groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques).