L’été en France a de nouveau été marqué par une chaleur accablante. Malgré la récurrence et les conséquences dramatiques de ces événements caniculaires, des millions de personnes continuent à vivre dans des logements qui se transforment en véritables bouilloires. 55 % des Français déclarent avoir eu trop chaud dans leur logement en 2023. Une exploitation inédite de l’Enquête Nationale Logement 2020 par la Fondation Abbé Pierre révèle également que le nombre de personnes vivant dans des logements trop chauds est en hausse de 26 % depuis 2013. Ces chiffres s’expliquent par des logements mal isolés et mal ventilés, mais aussi par l’absence d’espaces extérieurs ou de volets pour se protéger des rayons du soleil. Ce phénomène touche particulièrement les personnes âgées, les jeunes, et les ménages modestes. Cette vulnérabilité s’explique notamment par la morphologie urbaine des quartiers populaires, dont le manque d’espaces verts et la bétonisation favorisent les ilots de chaleur urbain. Les ménages y vivent souvent en surpeuplement, dans des logements de mauvaise qualité et rarement équipés de climatisation.
En plus d’être insuffisamment intégré aux dispositifs publics d’accompagnement et de financements locaux et nationaux, le sujet de l’adaptation des bouilloires thermiques est absent des obligations de rénovation pour les bailleurs. Elle continue de se heurter à des freins réglementaires et patrimoniaux qui empêchent l’installation de protections solaires ou l’application de couleurs claires en façade et en toiture. Si des solutions passives de refroidissement ne sont pas suffisamment déployées, la climatisation continuera nécessairement de proliférer, provoquant l’augmentation des factures d’énergie, l’aggravation de la surchauffe urbaine et la hausse des émissions de gaz à effet de serre.
La Fondation Abbé Pierre appelle de nouveau l’État, les collectivités et les propriétaires à affronter d’urgence le péril mortel de la précarité énergétique d’été, principalement pour les plus fragiles et publie une liste de recommandations :
Systématiser la prise en compte de l’habitabilité thermique et des ilots de chaleur urbain en été dans les projets de rénovation énergétique, et faire évoluer le système d’aides à la rénovation pour inclure plus largement les équipements et aménagements nécessaires pour y parvenir.
1. Subventionner l’installation de revêtement réfléchissant, de végétalisation des toits et des cours, ainsi que les projets de transformation en logement traversant dans le cadre de MaPrimeRenov’ Parcours accompagné, pour l’instant exclus du dispositif.
2. Inclure l’installation de protections solaires fixes, d’occultants, de brasseurs d’air fixe et de revêtement réfléchissant dans le cadre de MaPrimeRenov’ parcours par geste, et y appliquer le taux de TVA réduit de 5,5 %.
3. Revaloriser les montants d’aides MaPrimeRénov copropriété pour inclure l’installation de protections solaires fixes, d’occultants, de revêtement réfléchissant, la végétalisation de la toiture et la création d’ilots de fraicheur.
4. Pour financer ces travaux d’adaptation, ajouter au moins 50 millions d’euros au budget annuel de MaPrimeRenov, et 50 millions d’euros au FNAP pour les bailleurs sociaux.
5. Intégrer les critères de confort d’été à la définition d’une rénovation performante, par l’ajout de l’occultation dans la liste des postes de travaux à étudier, ou par l’intégration de l’indicateur thermique du DPE.
6. Réviser la Réglementation Thermique sur l’existant afin qu’elle prenne en compte la dimension du confort d’été.
7. Financer davantage l’isolation thermique utilisant des matériaux présentant une bonne résistance thermique à la chaleur, de même que ceux avec un fort déphasage thermique combiné à la possibilité d’aérer le logement la nuit.
8. Systématiser la prise en compte du confort d’été dans l’accompagnement et l’information des ménages, en incluant la notion d’adaptation des logements à la formation initiale des diagnostiqueurs, des conseillers France Rénov et aux compétences requises pour obtenir l’agrément Mon Accompagnateur Renov.
9. Collecter des données relatives à l’incapacité des ménages à maintenir une fraicheur confortable dans leur logement l’été, afin de mieux cibler les politiques publiques de lutte contre la précarité énergétique.
10. Mener une étude permettant de caractériser l’état du parc de logements au regard de son adaptation aux vagues de chaleur, et d’analyser l’impact des solutions techniques qui y sont associées.
Faciliter la réalisation des travaux
11. Perfectionner la méthode de calcul de l’indicateur « confort d’été » du DPE et l’ériger en cadre de référence des politiques publiques d’adaptation des logements à la chaleur, pour le suivi et la formulation d’objectifs nationaux ambitieux. Actuellement, cet indicateur se limite à une estimation et à quelques recommandations facultatives qui ne constituent pas une incitation suffisante pour la réalisation de gestes de rénovation améliorant le confort d’été. Avec une obligation d’affichage sur les annonces immobilières et une intégration au calendrier d’obligations de rénovation pour les bailleurs, l’évolution de cet indicateur permettrait de protéger les locataires tout en massifiant la prise en compte de ces travaux par les propriétaires.
12. Faire évoluer les documents d’urbanisme et les règles de protection du patrimoine (notamment la doctrine des architectes des Bâtiments de France, en lien avec le ministère de la Culture) pour faciliter les modifications du bâti ayant pour but d’améliorer l’habitabilité thermique des logements en été (et en hiver).
13. Rendre obligatoire la rédaction d’instructions concernant l’installation de protections solaires et de volets dans chaque règlement de copropriété, et révoquer la règle de majorité absolue pour l’installation d’occultants en la remplaçant par un vote à la majorité simple.
14. Inclure systématiquement l’installation de protections solaires dans la liste des travaux embarqués dans le cadre de projets de rénovation d’envergure en copropriété (ravalement de façade, rénovation de la toiture…)
15. Lancer un grand plan d’urgence sur trois ans, associant collectivités, Etat, bailleurs sociaux, afin de proposer des protections solaires à tous les logements, en lien avec France Renov et les dispositifs de repérage et d’accompagnement existants. Conduire une campagne de communication (sur le modèle de celle menée par le gouvernement sur la sobriété énergétique) incitant à l’installation de protections solaires et sensibilisant aux effets néfastes de la climatisation.
Repenser les villes pour lutter contre les îlots de chaleur urbain (ICU)
16. Intégrer des critères d’adaptation dans les programmes urbains (NPNRU, Action cœur de ville…) même dans les zones qui sont encore peu impactées par le dérèglement climatique. Il est possible de concevoir des opérations plus adaptées sans augmenter le coût des travaux, mais en dédiant suffisamment de temps aux études préalables lors de la phase de conception.
17. Intégrer aux documents d’urbanisme des mesures sur les coefficients minimaux de pleine terre, de végétalisation et de réalisation de trames vertes et bleues.
18. Revenir sur la baisse des crédits du Fonds Vert annoncée pour 2024, accroître substantiellement l’enveloppe du Fonds Vert pour les années suivantes avec une trajectoire de hausse jusqu’à 2027 au moins, et permettre un taux de financement de 100 % pour des projets de renaturation d’espaces dans les communes / quartiers les plus pauvres.
19. Introduire des normes pour lutter contre la massification de la climatisation, en interdisant par exemple la vente des appareils les plus énergivores et en interdisant l’installation de nouveaux climatiseurs dans les zones sujettes aux ICU (en commençant par le tertiaire).
20. Limiter le trafic routier lors des vagues de chaleur, en rendant possible la mise en place de règles de circulation alternée, n’autorisant que certains véhicules à circuler, comme ce qui peut être mis en place lors des pics de pollution.
Protéger les locataires victimes de surchauffe dans leur logement
21. Obliger les bailleurs à installer des occultants sur les parois vitrées exposées au sud, à l’est et à l’ouest.
22. Inclure la notion du confort d’été dans les caractéristiques de la décence, en introduisant un seuil maximal exprimé en degré heure (DH). Selon la RE 2020, un logement est inconfortable lorsque sa température intérieure dépasse 26°C à 28°C durant la journée et 26°C durant la nuit. Le DH doit être inférieur à un seuil maximal de 1250 DH.
Aider les ménages à faire face aux surcoûts liés au refroidissement
23. Revaloriser le montant du chèque énergie pour atteindre 450 € par an en moyenne, et élargir ses conditions d’éligibilité pour concerner les 30 % des ménages les plus modestes. En plus des gestes visant à améliorer le confort d’été et réduire la consommation d’énergie du logement, il faut donner les moyens aux ménages de s’acquitter de leurs factures d’énergie, été comme hiver. Actuellement, pour être éligible au chèque énergie, il faut avoir un revenu fiscal de référence (RFR) par unité de consommation inférieur à 11 000 € par an. De fait, ce plafond est bien trop bas et ne permet pas de toucher assez de personnes concernées par la précarité énergétique qui, bien que se situant au-dessus des plafonds, vivent dans des logements très énergivores. Il faudrait à minima élever le plafond du RFR à 16 120 € par an, soit l’équivalent du SMIC, et tripler le montant moyen du chèque énergie pour atteindre 450 € par an en moyenne, et 800 € pour les ménages les plus en difficultés.
24. Augmentation du forfait charge des APL, la partie des APL dédiée au paiement des charges du foyer. Dans la même perspective que l’augmentation du chèque énergie, doubler le forfait charge APL actuel permettrait d’aider réellement les ménages à s’acquitter de leurs charges énergétiques. Ce doublement, dont le coût est estimé à 2 milliards d’euros, permettrait en réalité de rattraper un montant considéré par la Cour des Comptes comme « notoirement sous-évalué ».
25. Inscrire dans la loi l’interdiction des coupures d’électricité dans les résidences principales, afin que tous les consommateurs bénéficient de cette protection toute l’année, y compris en-dehors de la trêve hivernale. En dernier ressort, la coupure doit être remplacée par une réduction de puissance à hauteur de 1 000 Watts (1kVa) permettant de conserver l’utilisation d’un réfrigérateur, d’un ventilateur, de l’éclairage et des appareils de communication. Au début de la trêve hivernale, la puissance initialement souscrite devra ensuite être obligatoirement rétablie chez les ménages vulnérables.